Solitude de l'homme                   

 

Un homme trapu, aux cheveux gris, s’avança à petits pas ; il hésita avant de s’adresser à Lechaïm, lançant d’abord un regard furtif à l’assemblée : « Tu es d’une grande sagesse, et ta réponse me sera d’un grand prix, car je ne comprends pas ma vie. J’étais charpentier ; j’ai de la famille et des relations, mais je me suis toujours senti isolé, mal compris et souffre de solitude, sans en savoir la raison ni trouver de remède. Que peux-tu m’en dire ? »
Lechaïm perçut la grande souffrance dans le regard de cet homme. Il inspira fortement et dit :

Une destinée claire et joyeuse,
Une vie droite et simple,
Échoit à peu d’humains.
Car, à bien y regarder,
L’existence des vivants
Est tissée de fils singuliers,
Trame bigarrée et bizarre,
Parfois chatoyante, souvent obscure.
Enfants marqués de tristesse
Au premier de leurs jours,
D’autres craintifs ou sans plaisir,
La vie donnée comme fardeau,
Et pour d’autres encore,
Autrui qui n’est que mystère,
Ou qui le sont à eux-mêmes
Dans le froid de la solitude :
Oui, l’homme peut souffrir tout cela,
Car l’âme de toute chair est le sang,
Le sang hérité des anciens,
Mêlé pour qu’advienne le sang nouveau,
Lourd ou léger, riche ou trouble,
Qui porte notre vie dans ce corps.
Se règlent ainsi le cours de nos humeurs,
La pesanteur taciturne, la peine sans motif,
Et souvent foyers austères ou sans joie
Aggravent le destin en fatalité.
Sachant cela, vois au-delà du visage,
Ne t’arrête pas à la mine sombre,
Ne juge pas l’homme triste ou amer,
Peut-être encore plus seul que toi.
Que naisse alors la compassion discrète,
Le secours qui taira son nom,
Le lien, qui, même ténu ou éphémère,
Unit dans un geste, un mot,
Une souffrance qui se tait
Á une douleur muette.
Qu’un instant se perçoive
Le souffle de l’Unique,
La fraîcheur de la source inconnue,
Celle qui fait renaître l’espoir.




Créer un site
Créer un site