Mort d'un frère                     

 

Les yeux rougis, un homme mince et hâlé esquissa un geste de la main vers Lechaïm en disant d’une voix à demi étranglée : « mon frère, mon frère bien-aimé vient de mourir, et il s’approchait de sa trente-deuxième année ; comment éteindre la brûlure qui est en moi, comment accepter l’inacceptable ? » Un silence se fit parmi la foule, tandis que Lechaïm courba un instant la tête vers le sol. Puis il se redressa et dit lentement, d’une voix emplie de douceur :
Cette brûlure qui est tienne,
Douleur de ce qui est sans nom,
Chacun doit y prendre part,
Et se laisser blesser à son tour,
Pour que tu puisses encore vivre.
Car la souffrance que l’on partage,
Brûle le cœur de qui se donne
Mais l’unit à l’âme seule,
Et apaise sa soif.
Un jour, vient un autre couchant,
Puis une aurore sans pleurs,
Et midi sera de paix mais plus de feu.
Tu sentiras le vent sur ton front,
La pluie deviendra caresse,
Et le silence sera habité
Par celui qui est parti.
Il sera là et aussi ailleurs,
Vivant d’une autre vie,
Qui n’efface point l’autre,
Mais pourtant s’en éloigne.
Laisse alors l’esquif voguer au large,
Chargé d’amour et de peine,
Empli de larmes et de rires
Allant vers un autre destin.
Car il revient dès que ton âme
Inquiète, heureuse ou seule
L’invite et évoque son nom
Pour un nouveau partage joyeux.
Un jour tu sauras qu’il convient
De l’aider à franchir la lumière
Qui borne l’horizon
Pour l’ultime voyage.
L’amour dès lors n’appellera plus
Mais poussera plus haut,
Et n’oubliera jamais
Les émois passés mais vivants.
Qu’une dernière larme baigne ta joue,
Ultime hommage d’affection,
Avant de songer que la même route
Nous mène tous au même port,
Là où rien ne peut être séparé.
 
 




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