Abreuver les vivants et les morts
 
 

Un homme musculeux, aux larges épaules, qui tenait une bêche, s’écria alors d’une voix forte, où une ironie était perceptible  : « Comment une source peut-elle abreuver des morts ? »

Lechaïm se tourna vers lui :
Tu dis vrai, ami laboureur,

La source de ton pré
Irrigue la terre fertile
Et apaise la soif de l’homme,
Tant que la vie est en lui.
Mais elle ne lui dit point,
Ni à l’aurore, ni au couchant,
S’il doit vivre ou mourir.
Or la mort peut surgir,
Et le jour et la nuit,
Quand la vie, pour demeurer,
Exige tant d’efforts !
Ce qui abreuve les vivants et les morts,
L’appeler source ou fleuve,
Flamme ou lumière,
Cela n’est que la nudité d’un mot
Pour révéler, sans pouvoir dire,
Ce qui ne peut que s’énoncer.
C’est l’hymne de la création,
Le chant de l’espace céleste
Qui disent à l’homme attentif
La Vie d’avant notre vie,
Souffle qui contient tous les souffles,
Cœur de père qui engendre
Et cœur de mère qui réjouit.
Notre esprit est versé dans un vase,
Et quand l’argile se brise
La vie retourne à la Vie,
Car le don n’est jamais repris.
Qui peut saisir ce mystère ?
L’homme qui perçoit la nuit
Plus brillante que le jour,
On l’entrevoit, bien que caché,
Dans le rire sonore des enfants
Et sur le masque apaisé de nos morts.

 




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