Le mystère du Créé                         

 
 

Un homme hâlé, aux yeux enfoncés, lui demanda alors : « je suis berger depuis de longues années et me suis souvent demandé en gardant mes brebis d’où viennent les prés et les bêtes que je vois ; as-tu une réponse à me donner ? »
Lechaïm admira en silence le bon sens de cet homme puis répondit :

Nos yeux étonnés contemplent
Et nos esprits songeurs scrutent
L’univers sans fin qui nous baigne
Et la terre qui porte nos pas,
Voulant percer le mystère
De l’origine et de la fin.
L’eau sans trêve coule dans la mer
Sans s’épuiser ni se distraire,
Toujours différente et toujours semblable,
Tandis que les nuages courent vers le couchant.
Tout est sans cesse mouvant et multiple,
Le sec et l’humide, le doux comme l’amer,
Et nos pas foulent le roc devenu sable.
Que dire du vertige qui nous saisit
Devant l’ordonnance d’un tel chaos,
La splendeur de cette profusion,
Le miracle d’une telle harmonie ?
Et qui saura où s’enfuit notre âme
Quand le corps repose dans la nuit,
Telle un nef qui franchit la mer ?
Sommes-nous donc un ou plusieurs,
A demeurer en nous-mêmes,
Esprit aux mille pensées,
Corps aux mille besoins ?
Seul nous parle le silence de l’aube,
La rentrée de soi en soi-même,
Et la pensée qui suspend son cours,
Que l’on soit scribe ou laboureur.
En vérité, longue est la route
Qui apaise le questionnement,
Elle n’est souvent qu’errance,
Désarroi ou meurtrissure.
On n’aborde longtemps nulle rive
Et nul port ne nous accueille,
Lors même que l’horizon
Semble parfois s’éclairer.
Vient enfin un temps nouveau,
Où le calme se fait en nous,
Sans donner son nom ni sa source,
Mettant fin aux errements.
On sait alors sans vraiment savoir,
Si chacun apprend à ouvrir les yeux,
Et quand il brûle, le désert nous livre
Le mystère de son origine.
En vérité, il n’est pas fruit du hasard,
Et les hommes furent aussi un jour
Comme donnés à eux-mêmes
Par la Puissance qui n’a pas de nom,
Et que l’aveugle perçoit aussi dans sa nuit.
Comprenne qui pourra :
L’herbe tendre fut donnée à la brebis,
Pour que celle-ci fût donnée à l’homme,
Offert à son tour à la Création,
Non comme obole mais comme joyau.
 
 




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