Prologue : Arrivée à Orphalese
 
 
 

Arrivée à Orphalese

 

Le jour était dans sa sixième heure et le soleil ardent brûlait le regard lorsque le vaisseau parut à l'horizon. Plus tard, l'on vit se détacher la barque qui amenait à Orphalese celui que la rumeur nommait « le fils du Prophète ». Mais le bien-aimé Almustafa — qu'il repose en paix ! —, après avoir passé douze années sur notre sol et regagné l'île qui avait vu son premier jour, n'avait point connu de femme au cours des longues années de sa retraite, car tel avait été son vœu. Que signifiait donc ceci ? Or Salfila, chargé d'ans et de sagesse, qui avait fait porter la nouvelle aux habitants d'Orphalese, ne parlait point à la légère. Quelques-uns accoururent donc, d’autres, les voyant, pressèrent le pas, si bien que le port fut peu après empli d’une foule curieuse, dont la rumeur faiblit quand un homme encore jeune et habillé de blanc quitta la barque sans hâte et foula le quai de ses sandales. Il se tenait devant la foule, la tête droite, sans arrogance, ni crainte, en paix avec lui-même.


Une vieille femme, la peau hâlée, ridée de ses joies et ses douleurs, la chevelure grise couverte d’un voile bleu, s’avança lentement, appuyée sur une canne de bois noueux, et prononça avec peine ces mots : « Je suis Almitra la voyante, et j’ai bien connu Almustafa, le prophète de Dieu, en des temps déjà lointains. Qui es-tu donc, homme jeune, toi qui n’es point le fils de chair du prophète bien-aimé et dont pourtant le souffle de vie repose sur toi ?

 

L’inconnu leva alors le bras droit à demi, la paume tournée vers la foule en signe de bienveillante  salutation.

 

« Je te salue, vénérable Almitra, et vous tous habitants d’Orphalese, je vous salue avec respect, joie et émotion, car vous n’êtes point des inconnus, tant le prophète, mon père spirituel, au cours de dix années passées auprès de lui, m’a parlé de vos joies et de vos peines, de votre corps courbé vers la terre et de votre âme en quête de vérité. Et chacune de ses paroles était emplie d’affection pour vous.

 

On me donna le nom de Resch, mais le Maître préférait me nommer Lechaïm, qui signifie dans son dialecte natal « enfant trouvé », car je suis orphelin, et ce fut sa volonté — mais aussi mon désir — que je devinsse son enfant spirituel.

« Peu nombreux », disait-il, « sont ceux qui veulent entendre la langue qui ne dit pas les mots que l’on attend, et bien rares ceux qui la comprennent. Toi, mon Lechaïm, tu perpétueras mon souffle quand je serai passé, et retourneras à Orphalese, car il te faut découvrir l’amour que j’y ai donné et que j’y ai reçu, puis y répandre la parole, afin que l’on y perçoive encore la fraîcheur de la source qui abreuve les vivants et les morts. »




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