De l'injustice sociale                  

 

Un homme de haute taille, aux habits neufs mais sans recherche particulière, s’adressa à Lechaïm avec un sourire malicieux : « Noble est ton esprit, et grand est ton savoir ! Je suis pour ma part médecin en ce lieu ; les puissants me regardent avec un certain dédain, les humbles m’admirent, certains me remercient, d’autres me craignent, tous savent mon utilité. Je constate que je dois souvent soigner les riches parce qu’ils mangent trop, et les pauvres parce que leur estomac reste vide. Que nous diras-tu de la société qui permet cela ? »
Lechaïm lui rendit son sourire et marqua une pause avant de lui répondre :
Qui s’étonnera en ce lieu,
Ou à Sparte et Médine,
De conditions sociales contrastées,
Qui accablent les uns, infortunés et tristes,
Pâles aux yeux rougis,
Miséreux, indigents, veuves ou orphelins,
Tandis que des puissants, en tous temps,
Ont contemplé leur fortune,
Puisque chacun voit la palette étrange
des sentiments humains,
La laideur qui côtoie la cupidité,
L’égoïsme qui soutient l’avarice ?
Se peut-il que naisse demain une autre aurore,
Où société humaine, fruit d’humains imparfaits,
Montrerait image de perfection ?
En vérité, quand ils pensent à leur sort,
Qu’ils vivent en chaumière ou au cœur d’un palais
Rares sont les humains qui démêlent la trame
De l’infortune ou du bien qui leur échoit.
Le riche a son bon droit, le pauvre, ses regrets,
Et l’envie verse son fiel dans la coupe
Que chacun boit en rêvant de vengeance
Ou encore de possessions innombrables.
Cupide est toujours l’autre, égoïste ou infâme,
Et qui pense cela, riche ou pauvre, n’importe,
Se tourne vers le ciel où résident les dieux
Pour se dire innocent, outragé ou victime,
Et le sel de la mer brûle moins que cela.
Peut-on changer nos mœurs, nos coutumes, nos rites,
Transformer la cité, soutenir l’indigent
Qui brûle au soleil pour mendier son pain,
Et ne plus accepter que le vieillard sombre,
Seul et nu, maudissant son destin ?
Faut-il piller le riche et détrousser l’avare,
Abolir ce qui est, incendier le palais ?
On ne fait pas du juste avec l’injuste,
Et nulle guerre ne sert la paix,
Nul sang versé ne rend meilleur,
Le vol reste le vol, le voleur fût-il pauvre.
D’autres chemins se peuvent emprunter :
Que la parole du sage devienne loi,
Que soit loué le magistrat intègre,
Et banni le profiteur cupide,
Dans la cité où sera célébrée la vertu.
Mais quand le riche trop riche
Oppresse par sa richesse même,
Qui est insulte au Divin immuable
Car acquise par injustice ou vol,
Quand le juge de la cité ne peut rien
Contre la force du riche injuste,
Lors même que l’orphelin se meurt
Aux marches du temple
Faute de pain pour soutenir sa vie,
Alors le Ciel lui-même et tous les dieux
Acceptent le sang qui lave la corruption,
Et la violence ouverte du citoyen
Contre la violence longue et occulte
De celui qui toujours prit sans donner.
L’imperfection reste donc ici-bas
La seule arme ultime du pauvre
Contre l’injustice des puissants.
Heureux est cependant le peuple
Qui peut réformer et redresser
Sans obligation de sang versé,
Car la vie ôtée manque à tous.
Comprenne qui pourra,
Le souffle vital de chacun
Fait partie de tous les humains,
Car il est un lien subtil mais fort
Qui unit un être aux êtres,
Et tous progressent ensemble.
La mort n’est qu’absence et vide,
Aimer la vie, fût-elle celle de l’injuste,
C’est comprendre notre ultime destin.

 




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